Restitution de l’atelier « Les leçons éditoriales de Janvier ? »

Restitution rédigée par Dominique Quinio, rapporteure de l’atelier, qui est l’ancienne Directrice de la rédaction du journal La Croix.

 

L’atelier « Les leçons éditoriales de janvier » était animé par Jean-Marie Charon, Président des Entretiens de l’information.

 

Les intervenants…

… dans un premier temps :

Laurent Doulsan (Chef du service Police-Justice de France Info)

Michèle Léridon (Directrice de l’information de l’AFP)

Céline Pigalle (Directrice de l’information du groupe Canal Plus, et Directrice de la rédaction d’I-télé)

Cécile Prieur (Directrice adjointe des rédactions du Monde)

… dans un second temps : 

Pierre Crétois (Agrégé de Philosophie)

Patrick Eveno (Président de l’ODI)

Nicolas Jacobs (Médiateur de France 2, représentant du Cercle des médiateurs)

Denis Salas (Magistrat, Secrétaire général de l’AFHJ)

 

Cet atelier s’est déroulé en deux temps. Une première table-ronde a donné la parole à des professionnels, en responsabilité dans des médias qui ont été en première ligne dans la couverture de ces événements : l’agence France presse (AFP), France Info, I-Télé et le Monde, notamment pour son « live » sur son site. Dans un deuxième temps, la parole a été donnée à des observateurs, ou des personnes qui pouvaient, de leur point de vue, relire le travail des journalistes d’une façon plus décalée. Médiateur de chaîne, magistrat, philosophe spécialiste du complotisme et le président de l’Observatoire de la déontologie de l’information.

 

Un événement inédit

Une première impression ressort de l’expression des responsables des médias présents.

L’événement était inouï, inédit, il a fait naître une émotion intense (tout autant d’ailleurs dans les milieux judiciaires, policiers, politiques), parce qu’étaient en cause, dans un premier temps, des gens de presse. Cette émotion a-t-elle influé sur la manière de traiter les choses ? Au tout début, peut-être, ensuite les automatismes ont repris leur cours, car il y a des automatismes dans des rédactions qui ont l’habitude de ce suivi de l’actualité en direct, avec une mobilisation générale de toutes les forces de la rédaction. Se mesure donc là la nécessité d’avoir des organisations de réaction rodées, pour les grandes crises.

Dans ces médias, s’est manifestée la nécessité d’un sas de révision, de validation : rédaction en chef et responsables des services justice-police pour déterminer ce qui pouvait être publié et mis à l’antenne, venant de journalistes pas forcément spécialistes de ces questions.

Il est à noter que les rédactions en question sont nombreuses et comportent des professionnels spécialisés qui ont de l’expérience et des sources. Ce qui pose des questions à des rédactions qui pour des raisons économiques, ont moins de journalistes et moins de spécialistes.

 

Des rédactions qui ont pris le temps de vérifier

Contrairement à l’idée que, de l’extérieur on peut en avoir, ces rédactions ont pris le temps de réfléchir, se sont donné des règles, ont pris parfois le parti de « freiner », de retenir des infos ou de ne pas les utiliser. Jouant sur le couple fiabilité/rapidité. Au risque de prendre du retard (pas toujours bien compris par les équipes elles-mêmes). Dans cet équilibre, vitesse/rapidité, la balance semble avoir souvent penché du côté de la fiabilité, car c’est là, finalement, que la spécificité du métier de journaliste, s’exprime par rapport à l’emballement des réseaux sociaux, et le nombre important de rumeurs. Nécessité de revenir au b-a ba du métier : vérifier, recouper à d’autres sources, même des dépêches d’agence. Ne rendre publique qu’une information « autovalidée ». En se souvenant que ce que publie un confrère n’est pas forcément une info.

L’immédiateté, le nez sur la vitre, comporte des risques. Car il faut en même temps réfléchir, valider des choix éditoriaux et publier, diffuser. Le retard pris peut apparaître, à rebours, comme une faute professionnelle. Des journalistes se sentent alors pris entre deux injonctions contradictoires : faire plus vite que la concurrence et vérifier l’info. Qui aurait pu penser il y a quelques années qu’à une interrogation sur leur fil, des journalistes du Monde répondent : « on ne sait pas encore ». Un choix payant pourtant : quand sur le fil ou à l’antenne des journalistes ont dit qu’ils ne donnaient pas certaines informations pour des raisons de sécurité par exemple, aussitôt les téléspectateurs, auditeurs internautes ont signifié leur satisfaction. Un reproche est revenu, transmis par le médiateur de France 2 (Nicolas Jacobs), celui du « remplissage » des temps sans info,  au risque de confier la parole à des experts qui eux sont amenés à en dire plus que ce qu’ils devraient, sur les questions de sécurité, de tactique policière par exemple.

 

L’émotion dans l’information

Quelques réflexions critiques, aussi, autour de l’usage excessif de témoignages, d’un traitement émotionnel de l’information.

Sur la publication de photos risquant d’attenter à la dignité des personnes : l’assassinat du policier devant les locaux de Charlie Hebdo. Unanimité pour dire non à la diffusion de la vidéo. En revanche, avis partagés sur l’usage de la photo.

Et quant à la diffusion prématurée des fiches de police des frères Kouachi, souvent reprochée aux médias, la question s’est posée de savoir qui les avait mises circulation.

 

Tirer les leçons des événements

Après les événements, il y a eu des débriefings formels ou moins formels. Michèle Léridon pour l’AFP s’est demandé si la faute commise avec l’annonce de la mort de Martin Bouygues ne venait pas du fait que leur relecture de ces événements n’avait pas été assez précise, plus claire sur le fameux couple fiabilité/rapidité. De l’intérêt et de la nécessité de ces relectures, de ces débriefings et de ces réflexions, à mener à chaud et à froid, en interne.

En fait, le débat a surtout porté sur le traitement de l’actualité en train de se dérouler.

 

Qu’est-ce qu’une information ?

Le rapporteur s’autorise là une question personnelle : qu’est-ce qu’une information ? (Est-ce que le nom des coupables présumés est une information ?) Par le biais des questions de la salle ou celles remontées par le médiateur, d’autres interrogations sont venues sur le mauvais usage du vocabulaire (musulman/islamiste), sur la non représentation de certains groupes de personnes dans les médias (qui auront pu nourrir un certain complotisme et le désir d’écrire autrement l’histoire qu’on est en train de raconter) : la représentation de valeurs communes, ardemment défendues, semblent au final ne concerner qu’une « bourgeoisie blanche ».

 

Les recommandations formulées

Les participants ont évoqué la nécessité de lieux tiers d’observation (rôle qui n’a pas été reconnu au CSA dans ses mises en garde sur la déontologie), de relecture de certains événements (exemple de l’ODI, organisme tripartite, professionnels, entreprises et public). Organisme qui s’autosaisirait ou pourrait être saisi en cas de dérapage médiatique.

Une interrogation de fond a été soulignée  par le magistrat : l’espace médiatique et l’espace du terroriste se confondent. Le terroriste existe parce qu’on donne écho à ses actes.  Les médias sont  pris entre deux responsabilités contradictoires : ne pas faire leur jeu et informer sur leurs exactions. Cette dialectique est à réinterroger à chaque fois.

En conclusion, il a été rappelé que le journalisme doit se réinventer sans cesse, à partir de ses principes fondamentaux, à chaque événement.

 

Pour écouter les ateliers dans leur intégralité >> PAR ICI

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