Restitution de l’atelier « Liberté d’expression, devoir d’informer et responsabilité ? »

Restitution rédigée par Loïc Hervouët, rapporteur de l’atelier, qui est un ancien Directeur de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, et également un ancien Médiateur de RFI.

 

L’atelier « Liberté d’expression, devoir d’informer et responsabilité » était animé par Ziad Maalouf, Producteur de l’Atelier des médias, sur RFI, et Jean-Christophe Boulanger, Président de Contexte et du SPIIL.

 

Les intervenants…

… dans un premier temps : 

Vincent Lanier (Premier secrétaire général du SNJ)

Patrice Maniglier (Philosophe du langage)

Christophe Deloire (Secrétaire général de Reporters Sans Frontières)

Fabienne Siredey-Garnier (Vice-présidente du TGI de Paris, Présidente de la 17ème Chambre)

… dans un second temps : 

Yves Agnes (Président de l’APCP)

François D’Orcival (Président de Presse et pluralisme, Président d’honneur du SEPM)

Souad El Tayeb (Directrice de Monte Carlo Doualiya)

Huê Trinh Nguyên (Journaliste à Saphir News et Rédactrice en Chef du mensuel Salamnews)

 

Le risque de l’atelier était de théoriser sur la liberté, une et indivisible, bien le plus précieux de l’homme, blablabla. On l’a évité. En allant dans le concret avec des intervenants sans langue de bois, même le philosophe, qui a utilement donné le poids des mots en cause, comme l’ont fait les animatrices de médias « musulmans » ou à destination de pays musulmans.

Donc on a constaté, sans barguigner, que l’incantation à « l’esprit du 11 janvier » ne suffit plus, et de beaucoup. Il faut des actes, qui ont été dessinés dans les préconisations finales de l’atelier.

 

Les Constatations

Constatations, avant d’évaluer la situation : certes l’impératif de liberté a été réaffirmé à l’occasion des événements de janvier, mais au fur et à mesure que sont passés les jours, la liberté a été interrogée de plus en plus rudement au regard de la responsabilité, de même que l’expression « Je suis Charlie », copiée sur celle de Kennedy à Berlin « Ich bin ein Berliner » a été de plus interrogée : solidaire des victimes de Charlie oui ; en accord avec les choix de Charlie, pas forcément. Le slogan, finalement, n’était peut-être pas aussi génial que ça.

Constatation d’un paradoxe : le droit de la presse se conçoit comme un défenseur de la liberté d’expression, alors que son objet est de la limiter, tout au moins de l’encadrer (1).

Constatation d’un anachronisme : l’irruption du CSA sur le champ déontologique audiovisuel a souligné l’incongruité de la coupure artificielle entre médias écrits et médias audiovisuels, tous convergeant dans la civilisation numérique.

Constatation d’un vide : si la légitimité juridique de la 17ème chambre n’est pas contestée, il n’y a aujourd’hui de légitimité déontologique pour aucune instance qui fasse consensus. Le représentant du patronat de la presse parisienne a confirmé au passage cette opposition de principe, heureusement battue en brèche par la fédération des agences de presse, le syndicat des éditeurs de presse en ligne, et quelques individualités.

Constatation d’une situation française singulière : voilà un pays fondateur, côté libertés, mais c’est aussi l’un de ceux chez qui la législation sur la presse est la plus fournie. Elle a certes aboli le délit de blasphème, au contraire de 47% des pays du monde (et l’Arabie saoudite revient à la charge pour la généraliser), mais elle a aussi construit un arsenal de lois mémorielles et antiracistes parmi les plus forts du monde.

 

Les risques à éviter

Donc on a réfléchi et raisonné, pour dire deux ou trois choses et lister les risques :

– le pluralisme ne doit pas être jugé dans chaque média, mais dans la société et l’ensemble des médias.

– la responsabilité ne doit pas être jugée in abstracto, mais en fonction de la nature du média, de sa ligne éditoriale, celle du New York Times étant plus grande que celle de Charlie Hebdo, celle d’un président de la république étant plus grande que celle d’un citoyen lambda.

– le premier risque est celui du surplace ou de l’inaction

– le second est celui de l’autocensure, contre laquelle il faut se prémunir

– le troisième est celui d’une « police de la pensée » : il faut rappeler que les actes posés sont seuls répréhensibles, pas les pensées (les paroles incitant à l’acte délictuel sont des actes)

– des risques collatéraux sont apparus : projet de loi sur le secret des entreprises, sur les informations concernant la santé, etc.

Mais le risque majeur souligné par tous les intervenants est celui d’une accentuation inopérante de la répression :

  • fabrication de « martyrs » de la pensée pour des enfants ou des piliers de cabaret ayant proféré des paroles racistes
  • détricotage de la loi de 1881, avec la possibilité de jugement en référé ou de comparution immédiate pour des affaires complexes par nature ; avec surtout l’allongement à trois ans, voire huit ans du délai de prescription en matière de racisme

 

Les préconisations

Dès lors on a préconisé, et listé des préconisations générales et spécifiques :

  • lutter contre le politiquement correct et l’autocensure
  • favoriser la connaissance du fait religieux
  • promouvoir l’éducation aux médias et au décryptage de l’information
  • conforter le ou les lieux de réflexion collective sur le métier : Assises, Observatoire…

Très concrètement :

  • Clarifier et réévaluer la législation mémorielle et antiraciste
  • Engager le débat et le combat contre des modifications de la loi potentiellement liberticides
  • Continuer la réfutation de la compétence éthique d’une instance politico-administrative type CSA
  • Renforcer les mesures confortant le journalisme libre ; protection des sources, accès aux données, statut de la presse, etc.

Pour écouter les ateliers dans leur intégralité >> PAR ICI

Pour visionner les ateliers en vidéos dans leur intégralité >> PAR ICI

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(1)La présidente de la 17ème chambre, qui juge les deux tiers des délits de presse en France, se donne les mêmes objectifs et confirme par des chiffres : sur 100 affaires, en moyenne 50 sont écartées pour des questions de procédure (prescription le plus souvent), 25 donnent lieu à une relaxe pure et simple, et les 25 jugées se concluent par une condamnation ou une relaxe partielle. Exemples de condamnations ou de relaxes à l’appui, elle a réfuté l’argument du « deux poids deux mesures » dans les jugements contre (ou pour) Zemmour et Dieudonné

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