Informer, s’informer dans 10 ans ? – Laurent Guimier

Laurent Guimier, directeur de France Info, pour les Assises, son regard sur l’avenir du métier de journaliste.

 

Vidéo réalisée par les étudiants de l’EFJ

 

Répondre à cette question m’en inspire spontanément une seconde : qu’espérions-nous pour 2017 il y a 10 ans ?

 

À l’époque, les salles de rédactions subitement ensevelies sous des tombereaux de contenus « UGC » (pour user generated content), tentaient de faire face à l’invasion des « nouveaux médias ». C’étaient d’abord les blogs, qui poussaient comme des champignons après la pluie. Les confrères les plus conservateurs, solidement retranchés dans leurs belles citadelles de papier, y voyaient une concurrence déloyale de pseudo-journalistes citoyens.
De nouveaux territoires numériques vierges s’offraient également aux médias et aux citoyens, tel le mythique Second Life, interface dans laquelle chacun était invité à créer son double, son avatar, et pour laquelle beaucoup de médias, craignant de rater le train de l’innovation, ont englouti de gros budgets publicitaires.
Mais le coup le plus brutal infligé par l’ouragan numérique aux rédactions furent les commentaires des lecteurs, jusqu’alors confortablement sélectionnés, amendés et modérés chaque semaine par l’habile médiateur du journal. Avec internet, ils s’aggloméraient subitement, quasi-instantanément, au pied des articles mis en ligne. Ainsi, les lecteurs devenus internautes ne se contentaient plus de « digérer » l’information produite par les journalistes. Ils pouvaient désormais la commenter, quasiment en direct. Apporter la contradiction. Et – merveilleux sacrilège ! – relever l’imprécision ou la faute d’orthographe commises par le rédacteur ainsi placé sous surveillance.

 

Dix ans après, les blogueurs se sont fondus dans la masse des contenus partagés sur les réseaux sociaux et Second Life a rejoint le cimetière virtuel de l’internet sans que sa notoriété ne dépasse la génération des utilisateurs de l’époque. En revanche, les compétences autrefois exclusives des journalistes ont fondu comme neige au soleil. Et c’est formidable.
Les médias ont perdu le monopole de la distribution légitime de la parole publique. Un expert n’a plus besoin des journalistes pour se faire connaître du grand public : il poste sur Medium ou déclenche un live sur Facebook. Les rédactions ont également perdu l’exclusivité de la collecte et de la révélation des informations : un fil twitter correctement administré permet à quiconque d’accéder à une profusion d’informations mixant contenus journalistiques, prises de paroles institutionnelles et informations brutes publiées par des acteurs de terrain. Et tout indique que le grand mouvement d’abolition des privilèges journalistiques va encore s’accélérer avec l’arrivée imminente dans la vie active de la première génération qui n’aura pas connu la vie sans internet.
Alors on pleure ? On dit adieu au journalisme ? Au contraire !

 

D’abord, il en va de l’information comme de toute activité humaine : la fin d’un monopole ne signe en rien la disparition de l’activité, ni même de son acteur unique historique. En général, elle entraîne même une augmentation de la première tandis que le second s’en sort en opérant une profonde remise en cause. Pour l’information, nous y sommes : jamais les citoyens n’ont autant « consommé » d’information. Il ne reste plus qu’à voir les journalistes accepter la concurrence.
Autrement dit : la question n’est plus d’opposer les journalistes aux lecteurs. Encore moins les « pros de l’info » aux « journalistes amateurs ». Elle est de savoir comment les journalistes réinventeront leur rôle dans la Cité pour continuer à y mériter une place et continuer à gagner leur vie. Que les jeunes générations de journalistes se rassurent : les pistes sont nombreuses et fertiles. A condition d’accepter de s’y aventurer, avec humilité et rigueur, en découvreurs d’un Nouveau monde de l’information.

Que signifiera donc « informer » dans dix ans ? Je me risque à pronostiquer l’existence d’au moins trois grandes voies qui structureront le quotidien des rédactions.

 

Le journalisme de sélection

La livraison d’une sélection intelligente de contenus à destination d’un public toujours plus exigeant sur la qualité. Le public, même mieux acclimaté aux médias numériques que ne l’est la moyenne de la population aujourd’hui, disposera de moins en moins de temps pour faire son miel de l’incroyable masse de contenus générés chaque jour sur la planète. Le journaliste-orpailleur livrera à son public une sélection de pépites pertinentes, authentifiées, traduites dans sa langue maternelle et reconditionnées dans des formats agréables qui restent à inventer.

Des pépites authentifiées : c’est tout l’enjeu du moment qui électrise les relations entre médias et politiques à propos des fake news. Pour bannir ces derniers, la pratique du fact-checking, qui reste trop sanctuarisée dans les médias de 2017, sera (enfin !) banalisée dans le journalisme de sélection.
Comme le sont les contrôles qualité dans l’industrie alimentaire.
Des robots de plus en plus autonomes et performants seront les détecteurs de métaux des rédactions. Orpailleur de l’info, le journaliste de sélection sera un anti-alchimiste qui transformera souvent l’or en plomb.

 

Le journalisme d’enquête

Indépendant et curieux, disposant du temps et des moyens matériels nécessaires à la production d’un contenu de qualité, le journaliste enquêtera sur le terrain physique (en reportage) et labourera les champs virtuels (data-journalisme) de l’information. Le travail d’enquête, polarisé en France sur les affaires politico-financières, sera généralisé à tous les sujets d’intérêt général. De la consommation du gluten au budget de la Défense ou la fiscalité des PME en passant par l’économie du sport. Ce journalisme ambitieux, chronophage et coûteux révolutionnera les modèles économiques : les citoyens, seuls ou réunis dans des associations à but démocratique, humanitaire ou philanthropique, financeront une partie de ces enquêtes. Les rédactions du service public de l’information, dont l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique aura été réaffirmée, y contribueront au premier plan. Le journalisme d’enquête bouleversera aussi les frontières, entraînant la création de pools de rédactions temporaires mais aussi l’entrée en masse dans les newsrooms de scientifiques, d’informaticiens, de statisticiens, de géographes ou de psychologues qui rafraîchiront l’air trop souvent confiné des rédactions.

 

Le journalisme de débats

Je suis convaincu que la crise de nos démocraties occidentales prend en partie sa source dans notre incapacité à reconstruire le débat public à l’heure d’internet : jamais les citoyens « d’en bas » n’ont autant été incités à livrer publiquement leur opinion grâce au web et aux réseaux sociaux.
De fait, jamais ils ne se sont autant sentis ignorés de ceux « d’en haut » qui sont incapables de prendre en compte cette opinion publique en perpétuel mouvement. C’est aux journalistes d’inventer les nouvelles formes du débat. De fabriquer les connexions entre « le bas » et « le haut ». D’organiser à tous les niveaux, notamment dans les médias locaux, l’égal accès de tous au débat public. Bref, de contribuer à l’invention d’une démocratie moderne, numérique et civilisée. Nous n’avons pas dix ans pour le faire. La colère des peuples ne sera pas virtuelle.
Là s’achève le prévisible.
Permettez-moi tout de même de partager une dernière vision : dans 10 ans, l’information s’immergera complètement dans notre quotidien grâce aux objets connectés. Vous lirez un article, une vidéo ou écouterez un reportage à la demande, n’importe où, quand vous le souhaiterez, sur n’importe quel support. Le règne de la reconnaissance vocale succédera à celui du clavier. Vous demanderez à votre radio préférée les dernières infos sur la Syrie ou bien un résumé de la journée politique. Je suis convaincu que nous sommes à l’aube d’une révolution du dialogue entre le média – sa rédaction en particulier – et le public qui lui fait confiance. Dans 10 ans, les bons journalistes seront alors ceux qui sont les plus à l’écoute de leur lecteurs, téléspectateurs et auditeurs. Tant mieux !

s informer dans 10 ans

Le fil de  Tours

Prix des Assises, Arcom, Charlie Hebdo, syndicats, médias indépendants… On vous résume cette journée aux Assises. « Toute la presse indépendante peut être détruite en deux ans. Il suffit de regarder les amendements du RN qui veulent augmenter le taux…

Lauréat·e·s Des Prix Des Assises 2025 !…

Depuis cinq ans dans la presse, les féminicides quittent la rubrique « faits divers » pour rejoindre les pages « société ». Infographie : Martin COLAS/EPJT Les chiffres sont clairs : la part des féminicides qui figurent en « société…

Pendant vingt-cinq ans, la journaliste et auteure, Patricia Tourancheau, a enquêté pour Libération. Son prochain recueil, Rubrique faits divers (Éditions Seuil), sortira vendredi 14 mars. « C’est la course, j’organise la promotion de mon nouveau livre ! » lance Patricia Tourancheau, en…

Créateurs de contenus, secret des sources, faits divers, IA et manipulation de l’information… Le résumé de cette journée aux Assises du Journalisme de Tours. Le matin, le public des Assises a pu s’intéresser à la question du secret des sources….

En 2005, après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, les émeutes ont mis en lumière les tensions entre médias et quartiers populaires. Vingt ans plus tard, la question de leur représentation reste posée. Vingt ans après les révoltes…

Figure emblématique de la météo en France, qu’elle présente depuis plus de trente ans sur TF1, Évelyne Dhéliat revient sur le renouveau du traitement médiatique des sujets climatiques et sur le bon ton à adopter pour alerter sur ces derniers…

Les 5 prix Education aux Médias et à l’Information (EMI) des Assises du Journalisme 2025 ont été décernés le 11 mars 2025 au Palais des Congrès de Tours. Le jury était présidé par le journaliste Bruce Toussaint. Bravo à toutes…

Utilisation de l’IA, traitement médiatique des quartiers populaires, quotas pour le climat dans les médias… On vous raconte cette première journée des Assises du Journalisme de Tours. Comment les rédactions s’emparent-elles de l’IA ? Dans une salle comble ce matin,…

Le baromètre est réalisé en partenariat avec France Médias Monde, France Télévision, Radio France et Ouest France….
Rendez-vous à Tours du 10 au 15 mars 2025 !…

L’enquête collaborative Gaza Project, 50 journalistes de 13 pays réunis par Forbidden Stories pour enquêter sur les attaques ciblées contre les journalistes pour les empêcher d’informer sur la réalité vécue à Gaza. La couverture du procès de Mazan sur les réseaux…

Les inscriptions pour la première édition des assises de Marseille sont ouvertes !

"Quel journalisme en Afrique et en Méditerranée demain ?"
Du 28 au 30 avril 2025
Rassembler,
Proposer,
Échanger.
#LASTNEWS
assises-de-marseille

Place des femmes dans les rédactions, état du journalisme au Sénégal et au Soudan, appel des Assises à la libération des journalistes emprisonnées en Tunisie……

assises-de-marseille

IA, indépendance des médias, charte déontologique, exposition photo, créateurs de contenus… Le programme était chargé ce mardi pour ces Assises du journalisme de Marseille au…

assises-de-marseille

Sahafa Med, colloque de recherche et soirée d’inauguration… Revivez cette première journée aux Assises du journalisme de Marseille. En marge des Assises, le porgramme Sahafa…

assises-de-marseille
Programmes, Ateliers et Débats, Soirées

Après deux éditions à Tunis, les Assises Méditerranéennes du Journalisme s’installent à Marseille ! Cette troisième édition aura pour thème : « Quel journalisme en…

assises-de-marseille
EMI, Programmes

Pour cette 3ème édition des Assises Méditerranéennes du Journalisme, Journalisme & Citoyenneté a le plaisir d’accueillir plus de 1300 scolaires et une trentaine d’acteurs EMI…

assises-de-tours
Ateliers et Débats

Revivez les 18e Assises du Journalisme à Tours en écoutant les podcasts et en revoyant les photos de nos principaux ateliers et débats. Pour écouter…

assises-de-tours

Prix des Assises, Arcom, Charlie Hebdo, syndicats, médias indépendants… On vous résume cette journée aux Assises. « Toute la presse indépendante peut être détruite en…

Newsletter

Newsletter