Le journalisme face à la barbarie

 

James Foley 01L’horreur provoquée par l’assassinat de James Foley, de Steven Sotloff ou d’Hervé Gourdel. Son insupportable mise en scène par les groupes terroristes de l’Etat Islamique pose à nos démocraties un terrible défi. Elle interpelle aussi chaque journaliste au plus profond de sa mission.

Comment parler de ces organisations, de leurs exactions, des vidéos insoutenables qu’ils  nous adressent, sans relayer de fait leurs stratégies de communication ?

Comment garder la distance nécessaire avec tout événement de l’actualité alors que cette horreur et la fascination qu’elle exerce ne vise qu’a la faire disparaître ?

Quand  l’inhumain est accessible sans filtre sur tous les smartphones, que peut le journaliste face à la barbarie ?

 

Cinq journalistes disent leurs doutes et leurs convictions comme autant de marqueurs pour notre réflexion commune.

Avec les interventions de : 

Philippe Rochot, grand reporter pour France 2 et France Inter

Edith Bouvier, grand reporter 

Alain Le Gouguec, président de Reporters Sans Frontières 

et Pierre Haski, cofondateur de Rue89 

 

Réécoutez le direct avec la Radio des grands reporters (WGR), émission enregistrée le vendredi 17 octobre à l’Arsenal de Metz :

 

Ou retrouvez les interventions de chaque invité :

 

  • Cyberterrorisme et intimidations de la presse. Intervention de Pierre Haski :

  • Les médias face à la « barbarie ». Intervention de Philippe Rochot aux Assises du journalisme : 

La question posée à toutes les rédactions est bien celle-ci: faut-il envoyer des reporters dans les zones contrôlées ou parcourues par les acteurs de la barbarie ?

La situation est trop grave pour que l’on continue de se réfugier derrière la phrase rituelle que l’on ressort à chaque fois qu’un journaliste est blessé ou pris en otage: «il ne faisait que son métier»… surtout quand son propre pays est engagé dans des opérations militaires contre ces groupes, au Mali, en Syrie, en Irak, ou en Somalie.. Pour les groupes terroristes, un journaliste porte sur lui sa nationalité : il est d’abord Français, Anglais, Américain, avant d’être journaliste. Pour eux, un journaliste est un ennemi, un espion qui se déplace avec une caméra des appareils photo, un ordinateur, donc suspect. Ces hommes ne comprennent pas qu’on puisse éventuellement expliquer leur cause.

Certains de nos confrères continuent de prendre le risque d’aller dans les zones rebelles de Syrie. Je pense à Garance Le Caisne qui a choisi de travailler avec des médecins syriens et nous rapporte des témoignages essentiels. Il faut saluer son courage.

On peut aussi trouver des solutions détournées pour couvrir ces zones de guerre. Il y a bien sûr les témoignages poignants des réfugiés, des Kurdes de Kobané ou des 10.000 chrétiens réfugiés en France.

Il y a le travail des journalistes arabes introduits chez Daech. Nous avons l’exemple de cette agence « Vice news «  dont un journaliste a pu faire une série de reportages chez les djihadistes à Raqqa et Alep : Medyan Dairieh est un reporter de guerre palestinien résidant au Royaume-Uni qui a couvert de nombreux conflits, notamment pour Al-Jazeera. C’est un homme engagé mais il a le contact, la confiance de ces groupes, sa marge de manœuvre est étroite mais il parvient à sortir un reportage. A consommer avec modération.

Lire la suite sur le site de Philippe Rochot.

 

  • « Nous journalistes, devons témoigner, oui… Mais témoigner de quoi ? ». Intervention d’Alain Le Gouguec :

Extrait : « S’agissant des évènements liés à l’islamisme le plus radical et aux guerres qu’il induit, nous avons le devoir d’observer ici même, en France, les humiliations que subissent les jeunes musulmans sur le marché du travail, dans la recherche d’un logement, à l’entrée des discothèques…

Il nous faut nous intéresser à la non-résolution du long conflit israélo-palestinien, à l’impuissance récurrente de la communauté des nations et à ses officines, au rôle joué par les Etats du Golfe ainsi que par la Turquie sur la scène moyen-orientale…

Nous devons regarder de très près les canaux financiers, les circuits de ventes d’armes, l’industrie de l’armement dont les tycoons s’emploient à contrôler les médias…

Voyons à qui profitent les crimes, tentons de répondre à cette question : qui sont les barbares ?

Voilà de quoi nous témoignons déjà, voilà de quoi il nous faut témoigner davantage et sans relâche. C’est un travail de longue haleine.« 

 

Ecouter l’intégralité de l’intervention du président de RSF :

 

  • Informer face a la barbarie. Retranscription de l’intervention d’Edith Bouvier : 

« Il voulait raconter la vie, être la voix de ceux qui n’en ont pas ». A Bayeux, au milieu des stèles qui racontent tous les journalistes morts sur le terrain chaque année, les derniers mots du père de James Foley sont très simples, tellement vrais. Là, au milieu des noms, des souvenirs laissés, ces paroles me ramènent à l’essence même de notre métier, la raison de cette prise de risque que certains jugeront folle. Quelques jours après James Foley, c’était au tour de Steven Sotloff d’être exécuté en Syrie, comme eux, de nombreux journalistes syriens sont enfermés ou tués pour avoir tenté de raconter la vie en Syrie, les espoirs de vie et de liberté d’une révolution qui tourne au bain de sang.

Alors pour eux, pour Remi Ochlik et Mary Colvin tués en février 2012, pour Olivier Voisin tué en janvier 2013, pour Ghislaine Dupont et Claude Verlon tués en novembre 2013, comme pour Camille Lepage tuée en mai 2014, il faudra continuer d’informer. Aller sur le terrain et raconter les visages des populations locales. Raconter leurs histoires pour dénoncer l’horreur de certains extrémistes.

Ils ne gagneront pas la bataille de l’information, nous devons continuer à raconter la vie, à enquêter sur leurs agissements et à questionner leurs ressources. Si l’on renonce, James et Steven auront été tués pour rien. Tous étaient partis pour être les témoins de ces guerres, raconter l’histoire en cours. Sans eux, comment savoir ce qui se passe aujourd’hui à Falloujah ou Mossoul en Irak, à Alep ou Deir ez zor en Syrie, à Benghazi en Libye ou Mogadiscio en Somalie ? Sans eux, qui racontera la vie des populations locales.

Alors on continuera d’y aller aussi pour expliquer et décrypter les évolutions du monde et comprendre les revendications politiques, sociales ou religieuses de ces zones en crise.

Les journalistes ont toujours été les victimes des conflits qu’ils couvraient, parce qu’ils s’approchent au plus près des combats, parce qu’ils frôlent la mort en essayant de raconter la guerre. Cette fois, plus encore que d’habitude, les chefs de Daesh ont compris l’importance de la communication. Ils ont crée plusieurs magazines, tous vantent leurs prouesses à coups de photos chocs et qui soulignent leur puissance de feu. Des publireportages qui font le lien avec les vidéos publiées régulièrement pour vanter leurs exploits sur le terrain. Un compte twitter, des comptes skype et facebook, les émirs de ce groupe sont très présents sur les réseaux sociaux. Début octobre, ils ont même publié une liste de onze lois à respecter pour avoir le droit de faire des reportages sur leurs troupes. Des règles folles qui exigent notamment de proclamer allégeance au calife, de ne rien dire ni écrire sans leur avoir demander l’autorisation et surtout de ne pas les critiquer.

Si on se contente de reprendre les images de propagande qu’ils diffusent, comme les images de décapitation des victimes de leur barbarie, on s’interdit de comprendre qui sont ces hommes, d’où ils viennent et ce qu’ils veulent. Ils faut lire, écouter, décrypter pour mieux critiquer leurs politiques et les intérêts qu’ils défendent. Contre la barbarie, replacer l’humain et l’information au coeur de notre travail. Plutôt que de reprendre et diffuser leurs vidéos de propagande, je préfère le souvenir des discussions avec les copains, les tapes sur l’épaule de James toujours là pour remonter le moral, le sourire de Camille et sa ténacité  qui forçait l’admiration de beaucoup d’entre nous. Lutter avec des visages quand ils ont choisi le sang et l’effroi.

Une image, un reportage ne vaut pas une vie , mais un reportage peut raconter la vie. Et que l’on ne se disculpe jamais en disant qu’on ne savait pas. 

Edith Bouvier, octobre 2014.

 

A réécouter ici :

 

 

Le compte-rendu des étudiants de l’Obsweb : 

 

 

Pour aller plus loin : 

  • Le Bar des correspondants, le rendez-vous de la Radio des grands reporters, enregistré en direct aux Assises le vendredi 17 octobre 2014.
    Jean-Louis Vinet reçoit Philippe Rochot, ancien grand reporter pour France 2 et France Inter Lise Blanchet, Rédactrice en chef à France 2, Vice Présidente de la SCAM et Alain Mingam, Photoreporter, Vice Président de RSF ( Reporter sans Frontières).

 

  • « Comment parler des exactions des organisations terroristes sans relayer leur propagande ? Faut-il montrer les images et vidéos des décapitations comme celles de James Foley ou encore d’Hervé Gourdel ? Beaucoup d’incertitudes et de questions posées le 17 octobre aux Assises. » Retrouver le compte-rendu des étudiants en journalisme de l’IUT de Cannes dans son intégralité sur le site Buzzles.org
  • Images de guerre : journalistes ou complices ? par Charlotte Darche de l’école de journalisme de Grenoble, publié le 17 octobre 2014. 
  •  Le rendez-vous du médiateur sur France Info Le journalisme face à la barbarie
  •  La Maison des journalistes, refuge des journalistes exilés. 
  • Le diaporama sonore de Valérie Rohart pour la Maison des journalistes « Yarmouk/Paris »

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