Dans le cadre de la 7è édition des Assises internationales du journalisme et de l’information qui se sont tenues à Metz en novembre 2013, le sociologue des médias Jean-Marie Charon a présenté son Baromètre de l’emploi des journalistes pour la deuxième année consécutive.
Un baromètre de l’emploi ? En tout cas une chronique de l’emploi des journalistes pour la seconde année. Avec l’espoir d’en faire un vrai baromètre. Ce qui pose des questions de méthodes, de chiffres sur lesquels s’appuyer ou à collecter :
– Les chiffres de la Commission de la carte (cf. Nathalie Barret et l’Observatoire des métiers de la presse), stabilité qui interroge.
– Une enquête ad hoc est réalisée tous les 10 ans, concernant les tendances d’évolution. Réalisée par l’IFP (Christine Leteinturier).
– Nous avons tenté d’en créer une avec nos propres moyens, avec un résultat qui n’est pas concluant.
– Reste une chronique interprétant les principaux événements en matière d’emploi : création / disparition de médias, plans sociaux, etc. croisant les informations fournies par la presse professionnelle, (La Correspondance de la presse) et les syndicats de journalistes nationalement et localement (tout particulièrement CFDT et SNJ).
Cette chronique est bien sûr dominée par les caractéristiques de la période, soit une mutation d’une ampleur inédite qui concerne l’ensemble des médias, avec de nouveaux profils de journalistes, de rédactions (plus avancés chez les pure players ou dans la presse quotidienne chez nos voisins européens [Cf. Guardian, CNMJ]).
Globalement la tendance est à la rétractation des périmètres de rédactions (sensibles dans certains médias : PQR et Magazines, cette année). Nous identifions ainsi au minimum un peu plus de 400 destructions de postes de journalistes. Au global ce seraient plus de 2000 emplois qui seraient supprimés dans les médias. Rappelons que les médias US ont vu diminuer de 30% le nombre de journalistes dans la décennie 2000). En Espagne plus de 6000 postes de journalistes ont disparu selon la Fédération des associations de journalistes d’Espagne.
Trois secteurs sous tension :
Trois secteurs sont particulièrement affectés par les diminutions d’emploi : la presse quotidienne régionale, les magazines et la télévision (essentiellement au travers des restructurations au sein de France Télévision). La presse quotidienne régionale suscitant les plus fortes inquiétudes au regard de son évolution sur les deux dernières années.
La PQR restructuration dans l’urgence :
D’une manière générale, la presse quotidienne régionale apparaît comme un secteur particulièrement touché par les restructurations, face à la déstructuration très rapide et substantielle de son modèle économique (accélération des baisses de diffusion, recul de la publicité, après l’effondrement des petites annonces et des gratuits d’annonces). C’est donc un mouvement qui poursuit après les événements observés l’an dernier chez Ebra, aux journaux du midi (GSO), après le groupe Voix du Nord.
Toute la PQR est concernée, même si parfois comme à Ouest France la rédaction n’est pas touchée : C’est plus de 370 (probablement > 400) postes de journalistes qui sont supprimés sur 2 ans, soit 6,5% des 5 843 journalistes qu’emploie le média (qui représentait en 2012, 23,6% des journalistes encartés).
Trois groupes (voire quatre) sont particulièrement au cœur des mouvements actuels : GHM (Groupe Hersant Médias), Groupe Sud Ouest, Centre-France – La Montagne. Alors même que les rumeurs vont bon train à propos d’une annonce émanant du groupe La Dépêche du midi.
GHM : le démembrement continue.
Plusieurs des annonces de l’année concernent la poursuite du démantèlement du Groupe Hersant Médias : cession du Pôle Champagne Ardenne, au groupe Rossel, Cession de la Provence à Bernard Tapie, déficits récurrents à Nice Matin.
L’Union / Est Eclair : Pôle Champagne – Ardennes :
Avec le rachat de l’Union et l’Est Eclair par Rossel : 80 postes sont supprimés, dont 19 de journalistes (il y avait eu 57 clauses de cessions : partiellement remplacées).
Nice Matin :
A Nice Matin, lourdement déficitaire, annonce d’un plan avec 40 à 60 journalistes (sur 230) sur un total 183 départs.
La Provence :
Le rachat de La Provence par Bernard Tapie (de Corse Matin éventuellement) pourrait conduire jusqu’à une cinquantaine de clauses de cessions
Groupe Sud-Ouest face à l’accumulation des déficits :
On restructure à tous les niveaux du groupe : ce fut d’abord en 2012 aux Journaux du midi (Midi libre, Centre Presse Rodez, L’Indépendant). C’est cette année au niveau du groupe Sud-Ouest proprement dit avec 180 postes supprimés, dont 23 journalistes.
Concernant les Journaux du midi la direction annonce un nouveau plan d’économie, avec fermeture/fusions de 3 agences locales de Midi Libre/L’Indépendant/Centre presse et la suppression d’une cinquantaine d’emplois. Combien de journalistes (la direction parle de CDD) ? Ce plan succède au plan social de 2012 qui avait concerné 158 postes, dont 68 journalistes…
C’est dire qu’en 2 ans le GSO aurait réduit ses rédactions de plus d’une centaine de journalistes…
Centre France – La Montagne :
Annonce de la suppression de 318 postes au Groupe Centre France, dont 37 journalistes.
Groupe la Dépêche du Midi :
Rumeurs d’annonce d’un plan vers le 20 novembre, en attendant, des fusions de rédactions ou d’éditions se traduisent par des diminutions : ex. l’édition du 47 de La Dépêche et le Petit Bleu du Lot et Garonne qui supprime 5 postes sur 23 journalistes.
Par ailleurs,
EBRA ferme Le Pays :
L’arrêt du Pays par le groupe Ebra conduit à la suppression de 30 emplois, dont 19 journalistes, qui vont partiellement compenser les clauses de cession au sein de L’Est Républicain.
Ouest-France :
Symbole par excellence : Ouest France vient d’annoncer la suppression de 137 postes. La rédaction n’étant pas touchée.
Quotidiens Nationaux, poursuite des ajustements :
Contrairement à l’année passée les nationaux sont moins touchés, avec une bonne nouvelle de création, ce qui est rare sur ce secteur.
L’Opinion :
Création d’un titre de 30 journalistes.
Le Figaro :
75 départs dont 30 à la rédaction.
Presse magazine :
La presse magazine continue de créer des titres, avec même des lancements importants comme celui de Vanity Fair, tel Causeur, Lui, Elle Man, etc. D’autres sont annoncés pour les mois à venir.
Cependant désormais la presse magazine est au cœur de la mutation, avec des segments en crise (liés à la baisse de la publicité et parfois brutale de la diffusion), d’où des plans de départ, cessions de titres, etc., sachant que deux groupes sont particulièrement concernés : Express – Roularta et Lagardère.
Express – Roularta :
Suppression de 80 postes sur 750, dont 8 à la rédaction de l’Express, 13 à L’Entreprise, 3 à L’Expansion, 4 à Studio, 6 au pôle Maison, Côté…, etc. au total 43 postes de journalistes permanents.
Courrier International :
Suppression de 24 journalistes en CDI et de 25 pigistes réguliers.
Marianne :
Le Monde évoque quelques clauses de cession.
Têtu :
40% de ses effectifs sont supprimés
La Vie du Rail :
Suppression de 4 postes de journalistes (équipe de 15 salariés).
Groupe Lagardère :
Cession d’une dizaine de titres et resserrement des structures des titres gardés par le groupe notamment Paris Match, Elle, Télé 7 jours, France Dimanche.
Après avoir annoncé des chiffres (7 départs de journalistes à Paris Match), la direction opte pour un plan de sauvegarde de l’emploi, à l’ampleur incertaine.
Le plan initial concernait 350 salariés, dont 250 journalistes, devant quitter le groupe et 217 précaires, soit 567 personnes.
Télévisions :
L’actualité de la télévision est surtout marquée par la poursuite de la restructuration massive de France Télévision :
France Télévisions :
Suppression 361 postes, dont 90 journalistes [global sur 2 ans : 650 équivalents temps plein : 700 à 800 départs]
Télévisions locales :
Les télévisions locales souffrent avec par exemple Télévision Vendée qui employait 12 journalistes et qui réduit sa rédaction à 10,5 en 2013 (remplacement par des cadreurs). Dans son plan Centre France annonce l’arrêt de la diffusion de sa télévision à Clermont Ferrand.
Zoom sur :
Pure Players d’information :
Dans un secteur neuf et très foisonnant on assiste à des mouvements contradictoires : moins de créations que dans les années 2010/2011, bien que Contextes fait son apparition en novembre avec une rédaction de six journalistes. Il y a toujours des créations en région, avec souvent de tout petits effectifs : Placegrenet.fr, MiroirMag, Lephareouest, VMarseille, etc…
Avec aussi des arrêts remarquables : Dijonscope et sa rédaction de 9 journalistes et Owni.fr et son équipe de 16 salariés, dont un tiers de journalistes.
La tendance paraît cependant à plutôt étoffer les rédactions, mais à une échelle réduite à l’image du Huffingtonpost : 7 permanents et 3 pigistes réguliers à la création, fin 2011. 17 permanents et 2 pigistes réguliers aujourd’hui.
Rue89 emploie aujourd’hui 17 journalistes en CDI et 5 pigistes permanents (une dizaine de journalistes à l’origine en 2007).
Médiapart emploie 32 journalistes aujourd’hui (24 au départ) et 75 personnes au total (pour 27 au départ). A noter l’évolution du ratio entre journalistes et non journalistes dans ces entreprises (développeurs, marketing, commerciaux).
Ce qui ne peut pas cacher les difficultés de certains tel Newsring qui a licencié la moitié de sa rédaction cet été, soit 7 journalistes.
En conclusion :
La situation de la PQR illustre assez bien la problématique de la période avec l’arbitrage entre deux questions :
1) la maîtrise des coûts qui se traduit par des diminutions d’effectifs.
2) l’urgence à se développer sur l’ensemble des supports disponibles (imprimé et numériques), ce qui suppose de faire évoluer les compétences et les formes d’emplois.
3) La conception même de la rédaction est en jeu et doit évoluer : avec des formes plus ouvertes articulant journalistes dedans / journalistes dehors / non journalistes (notamment experts). Pour cela il faut former dans la durée, parallèlement à l’expérimentation / recherche de nouvelles formes [exemple du « laboratoire » créé par Ouest France avec une dizaine de personnes].
Baromètre de l’emploi Journalistes 2012/2013
Jean-Marie Charon