En 2005, après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, les émeutes ont mis en lumière les tensions entre médias et quartiers populaires. Vingt ans plus tard, la question de leur représentation reste posée.
Vingt ans après les révoltes de Clichy-sous-Bois, les quartiers populaires restent au cœur de l’actualité, mais souvent sous un prisme réducteur. Si certains médias tentent de diversifier leur approche, la couverture reste largement dominée par l’urgence et les violences urbaines. Benoît Fauchet, journaliste à l’AFP, explique que l’agence a mis en place un « pôle enquête et territoires », avec des journalistes présents sur le terrain en continu. « Nous sommes là avant, pendant et après, et nous veillons à documenter les événements avec rigueur », précise-t-il. Cependant, il souligne l’impact des réseaux sociaux qui imposent un rythme effréné aux rédactions : « Aujourd’hui, dans 99 % des cas, l’information sort d’abord sur les réseaux. Notre rôle est donc de vérifier et contextualiser. »
Malgré ces efforts, certains regrettent que les médias se concentrent essentiellement sur les crises. Héléna Berkaoui, rédactrice en chef du Bondy Blog, déplore ainsi que « toute l’attention médiatique se soit focalisée sur les révoltes urbaines » après la mort de Nahel en 2023, au détriment des enjeux structurels comme la relation entre police et habitants. Pour elle, ce traitement sélectif accentue le fossé entre les médias traditionnels et les habitants des quartiers populaires.
Une couverture encore incomplète et un manque de diversité
Après 2005, plusieurs rédactions avaient amorcé une réflexion sur leur manque de diversité. Héléna Berkaoui rappelle ainsi « Libération s’était interrogé sur le fait qu’aucun de ses journalistes ne vivait en banlieue ». Mais actuellement, « les rédactions ne sont toujours pas représentatives de la population », regrette-t-elle.
Cette absence de diversité a des conséquences directes sur la manière dont les quartiers populaires sont traités dans les médias. Non seulement les rédactions restent socialement homogènes, mais les habitants des quartiers ont, eux aussi, de plus en plus de mal à faire entendre leur voix. « La capacité des gens des quartiers populaires à déconstruire leur propre image est devenue inexistante », affirme Erwan Ruty, ancien directeur de Medialab93. Il dénonce également une « dégradation colossale du traitement médiatique », notamment sur certaines chaînes d’information en continu.
Cette marginalisation des voix issues des quartiers se double d’une discrimination au sein même des rédactions. Anissa Rami, journaliste et membre de l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s (AJAR), souligne ainsi les difficultés rencontrées par les professionnels racisés pour traiter ces sujets en interne : « Quand on est la seule personne racisée d’une rédaction, il est difficile d’aborder ces sujets sans être renvoyé à son identité. » Elle rappelle que certaines journalistes voilées se voient encore refuser leur carte de presse à cause de leur apparence.
Face à ces constats, des initiatives émergent pour changer la donne. L’AJAR milite pour une meilleure représentation des journalistes racisés et la prise en compte des biais structurels dans les rédactions. Le Bondy Blog, de son côté, continue de former et d’accompagner des personnes issues des quartiers populaires afin qu’ils puissent eux-mêmes produire un autre récit médiatique. Mais vingt ans après Clichy-sous-Bois, la couverture médiatique des quartiers populaires peine encore à évoluer en profondeur.
Eglantine FOUCHIER (IUT de Lannion)