Pendant vingt-cinq ans, la journaliste et auteure, Patricia Tourancheau, a enquêté pour Libération. Son prochain recueil, Rubrique faits divers (Éditions Seuil), sortira vendredi 14 mars.

« C’est la course, j’organise la promotion de mon nouveau livre ! » lance Patricia Tourancheau, en ouvrant la porte de son appartement parisien, où règne l’odeur du tabac et où domine la couleur rouge : sur les murs en brique, les canapés et les photophores du bar de la cuisine. Un intérieur que rappellent le pourpre des lèvres de la soixantenaire, le fard de ses joues ou les reflets de ses cheveux.
Jupe en jean et tee-shirt, son style décontracté dénote avec son statut d’experte dans le domaine du journalisme. Pourtant, ça n’a pas toujours été une évidence, pour la Vendéenne d’origine. C’est un soir, dans le bar nantais La Provence, son QG de jeune étudiante en sociologie, que Patricia Tourancheau a la révélation : « Je discutais de mon avenir avec le journaliste Paul Burel, un loup de mer de Ouest-France, et il m’a dit : “Patricia, tu as les deux qualités principales pour être journaliste, l’empathie et la curiosité. C’est le métier qu’il te faut.” » Le lendemain, elle appelle le quotidien pour y faire un stage.
Trente-huit ans de carrière
« Selon Edith Rémond, la directrice de l’IUT de Bordeaux de l’époque, j’avais déjà parlé de traiter les faits div’ lors de l’oral d’entrée », raconte-t-elle, mais elle-même ne s’en souvient pas très bien. En revanche, ses premiers reportages et interviews lui ont laissé un souvenir impérissable. Fourniret, le Grêlé, le petit Grégory, trente-huit années d’affaires ont depuis été immortalisées par la plume de Patricia, « Patou », « Postichette » ou «Pamela ». « J’ai toujours signé Patricia Tourancheau. Mon adresse a toujours été connue. Il y a eu deux ou trois trucs inquiétants mais pas au point d’en faire tout un plat. » Sylvia Jeanjacquot, la dernière compagne du criminel des années soixante-dix, Jacques Mesrine, avait pourtant menacé de la défigurer au vitriol pour un portrait qui ne lui avait pas plu. « Vu le nombre d’affaires dont je me suis occupée, je m’en fous, c’est peanuts », lance-t-elle entre deux bouffées de cigarette.
Optimiste par nature
Patricia Tourancheau avoue qu’au-delà des histoires atroces tristement célèbres, celles qui la marquent le plus, ce sont les « histoires de jeunes qui dérapent, parce que c’est du gâchis ». Il n’y en a pas une en particulier, mais plutôt vingt ou trente. Le plus important « c’est la psychologie des victimes, de leur famille, des bandits. Nous, notre boulot c’est de s’effacer derrière. » Voilà pourquoi elle se blinde : « J’ai ma vie de famille, j’adore danser, je vais dans des soirées, en vacances à la mer, je fais du sport… J’ai une vie sociale très importante et qui n’est pas faite que de bandits ou de flics. » D’une certaine manière, les faits divers l’ont aidée : « Par nature, je suis optimiste et même les affaires les plus sombres ont renforcé ce côté-là. Dès qu’il m’arrive quelque chose de dur je me dis “regarde les victimes de Fourniret” et je surmonte la situation plus facilement. »
Une fille du papier
Celle qui a pendant longtemps détesté sa voix se décrit comme « une fille du papier ». « J’aime les mots, j’aime le syndrome de la page blanche. Tu te dis, comment je vais remplir ces deux feuilles et demie ? Mais quand tu y parviens, c’est magique. » Patricia Tourancheau écrase sa sixième cigarette et à la question : « Dans une autre vie, auriez-vous été flic ou voyou ? », répond amusée : « Plutôt voyou. J’ai fait les 400 coups avec mes amis à l’époque, j’aurais pu me retrouver dans un fait divers. » Affaire classée.
Victoire Alonzo, Louise Clerget / EPJT