Depuis cinq ans dans la presse, les féminicides quittent la rubrique « faits divers » pour rejoindre les pages « société ».

Infographie : Martin COLAS/EPJT
Les chiffres sont clairs : la part des féminicides qui figurent en « société » a presque triplé en cinq ans, passant de 5% en 2017 à 13% en 2022. « Changer de catégorie, c’est déjà reconnaître que le féminicide est un fait de société, un phénomène structurel », analyse Margot Giacinti, chercheuse en sciences politiques à l’Université de Lille et autrice de l’une des premières thèses sur le féminicide. Ce basculement s’accompagne d’une meilleure contextualisation des faits : les articles mentionnent davantage les parcours des victimes, les violences antérieures et les défaillances des institutions.
Selon le collectif NousToutes, en 2024, 137 féminicides ont endeuillé la France. « Avant les années 2015-2016, le terme féminicide ne circulait que très peu en France. Après 2019, on va commencer à avoir une véritable recatégorisation de ces faits-là », explique Margot Giacinti. « C’est récent : avant on ne donnait pas cette place aux féminicides », confirme Phoebé Humbertjean, fait-diversière à La Nouvelle République.
Depuis 2019, le quotidien traite davantage les féminicides dans ses pages départementales que dans la catégorie « faits divers » du journal. Le traitement médiatique des meurtres de femmes a toujours oscillé entre deux lectures principales : la « lecture conjugaliste » et la « lecture passionnelle ». En qualifiant ces actes de « crimes passionnels », la presse contribue à minimiser leur gravité et à les déconnecter d’un système de violences sexistes.
Un tournant politique puis médiatique
Ce changement de regard sur les féminicides résulte d’un long travail militant. Depuis 2019, les « collages féminicides », notamment sur les abribus parisiens, se sont multipliés, rendant le phénomène visible dans l’espace public. Parallèlement, des collectifs comme « Féminicides par compagnon ou ex » ont entrepris un travail de comptabilisation sur les réseaux sociaux.
Cette pression militante déclenche une prise de conscience journalistique. « Les membres des collectifs écrivaient aux journaux et leur disaient : “Non, ce n’est pas un crime passionnel” », explique Margot Giacinti. Pourtant certains biais, tels que la valorisation des auteurs, l’invisibilisation des victimes marginalisées (femmes racisées, trans, travailleuses du sexe…) ou leur culpabilisation sont persistants dans les articles.
Des journalistes, généralement des femmes, ont imposé dans les comités éditoriaux de nouvelles politiques pour mieux encadrer le traitement de ces affaires. En Belgique, le bimestriel Axelle Magazine a même publié un guide « pour un journalisme féministe », incitant à utiliser des termes appropriés et tenter d’éviter la romantisation des violences. Page 9, on peut ainsi lire : « Si le traitement médiatique d’une femme nous semble très bizarre quand on l’applique à un homme, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche. »
Laurane CHARPENTIER / EPJT