Journalistes, éditeurs et politiques se sont réunis ce jeudi 13 juin à la Sorbonne pour faire part de leur position sur la création d’une instance de déontologie. Retrouvez les interventions des différents invités de cet événement organisé par Journalisme & Citoyenneté et l’APCP.
Jérôme Bouvier, Président de l’Association Journalisme & Citoyenneté, organisateur de l’atelier-débat avec l’APCP, anime cette rencontre.
Yves Agnès, Président de l’Association pour la Préfiguration d’un Conseil de Presse (APCP), évoque deux éléments d’actualité : la réflexion sur la déontologie issue des Etats généraux de la presse écrite et les initiatives récentes de l’Union Européenne, invitant à une consultation sur ces questions dans chacun des Etats membres. Dans la sphère médiatique, l’heure est au(x) bouleversement(s) : cette situation justifie la création d’une instance s’imposant à tous les organes d’information, comme un lieu de responsabilité et un repère déontologique.
L’avis des journalistes
Michel Delberghe, membre du Bureau national de la CFDT – Journalistes
Le syndicat est favorable à une instance de régulation et de débat entre presse et public. Ce ne peut pas être un tribunal et elle ne peut pas non plus être créée ex-nihilo ; elle doit s’adosser sur la charte des droits et des devoirs des journalistes. Elle ne doit pas masquer la nécessité de la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles. Un rappel : la déontologie, ce n’est pas le droit du travail.
Dominique Pradalié, Secrétaire Général et porte-parole du SNJ
La responsabilité des médias vis-à-vis des citoyens prime sur tout. La création d’une instance déontologique est une nécessité vitale. Le SNJ appelle à son émergence, dans un délai de deux ans. Ce doit être une instance à caractère essentiellement pédagogique, adossée à la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels Elle devra reposer sur une « loi » commune. La présence du public dans une telle instance est légitime. Il y a un devoir de réponse aux préoccupations de citoyens, qui sont nombreux à manifester leur insatisfaction, par exemple auprès du SNJ.
Jean Tortrat, membre du bureau national du SNJ-CGT
Les journalistes sont victimes des politiques patronales qui leur dénient tout pouvoir : la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles est une exigence. Le syndicat n’est pas opposé à une instance déontologique, adossée à une charte. Mais elle ne suffira pas à rétablir la qualité de l’information. En tout cas, elle ne doit pas se transformer en tribunal faisant le procès des journalistes.
Marcel Desvergne, Président de l’Association des lecteurs, internautes et mobinautes de Sud-Ouest (ALIMSO)
Les publics des médias sont ceux qui les font vivre et, accessoirement, ceux qui les font bouger. Le travail sur la déontologie doit être transmédia. Nous croyons à l’instance de déontologie comme nous croyons au professionnalisme du journalisme, à la formation des journalistes, au dialogue entre journalistes et éditeurs. La déontologie, c’est l’affaire des producteurs de l’information ; le public doit y participer comme un discutant. On peut imaginer une représentation par les réseaux associatifs, mais on peut aussi faire confiance à ceux qui ont envie de participer à ce dialogue.
Témoignage : Emmanuel Constans, Président du Club des médiateurs de services au public.
La médiation est une des réponses à la défiance manifestée par les citoyens, qui peut aller jusqu’à la violence. La pratique s’est beaucoup développée depuis vingt ans (150 000 demandes de médiation par an en France). La médiation est toujours volontaire, jamais contraignante. Elle vise l’équité. Elle doit être rapide, confidentielle et néanmoins transparente.
L’avis des éditeurs
Maurice Botbol, Président du syndicat de la presse d’information en ligne
En tant qu’éditeur, nous avons des responsabilités vis-à-vis des journalistes mais aussi des lecteurs. Le SPiil soutient le principe d’une instance, sans minimiser les difficultés de sa mise en oeuvre. De leur côté, les éditeurs doivent adopter des règles de fonctionnement entre eux. Et l’Etat doit soutenir le pluralisme.
Charles-Henry Dubail, Président du syndicat de la presse professionnelle
Le public doit pouvoir distinguer le vrai du faux dans le flux d’information. Par ailleurs, il exige de la transparence, de la traçabilité ; il veut savoir qui parle et a besoin de réagir. Faut-il pour autant une instance de déontologie ? En France, le déontologue, c’est le juge. Comment ses avis vont-ils s’articuler avec les décisions de justice ?
Kathleen Grosset, Présidente de la Fédération des agences de presse
La FFAP est favorable à la création d’une instance déontologique, qui lui semble essentielle pour regagner la confiance du public.
Laurent Joffrin, Directeur de la rédaction du Nouvel Observateur
La réputation des médias est exécrable. C’est injuste mais ce n’est pas tout à fait injustifié, au vu de certaines erreurs tragiques et d’atteintes à des personnes. Il y a la loi mais il y a place pour une instance déontologique. Ni cercle limité aux journalistes, ni organe idéologique, elle doit prononcer des sanctions symboliques. Elle peut devenir une référence commune, qui définisse des lignes rouges et aide les rédactions à ne pas les franchir. Les différentes formes de presse devraient y répondre de leurs abus mais pas de leur existence ; il ne peut y avoir de cogestion de la presse par les citoyens.
Louis Dreyfus, Président du directoire du Monde
Le Monde s’est doté d’un comité d’éthique et de déontologie, composé de membres de la société des rédacteurs et de personnalités indépendantes. Il agit en transparence. Je ne vois que des avantages à la création d’une instance qui concerne tous les médias, qui organise la relation avec les lecteurs et soit un recours pour les journalistes. Elle pourrait contribuer à la régulation des relations entre les différents médias, qui se livrent une concurrence acharnée. Sa vigilance devrait s’étendre aussi à la rigueur du travail journalistique.
Christian Gautellier, Président de l’association Enjeux e-médias
L’association est favorable à une instance de co-régulation dans laquelle le public ait part entière. Le public n’est pas composé que d’individus atomisés ; il est aussi incarné par des associations d’éducation populaire, appartenant au monde de l’économie sociale et solidaire. Ces acteurs sont totalement légitimes. La crise de crédibilité des médias est extrêmement inquiétante. Elle touche le coeur de la population française et nous faisons le lien avec la notion de droit à l’information. Il est très urgent d’agir.
Témoignage : André Linard, Secrétaire général du Conseil de Déontologie Journalistique de Belgique francophone
Le Conseil de Déontologie journalistique de Belgique existe depuis 2009. Un certain nombre d’éléments favorables a permis cette création : le soutien des politiques au-delà des lignes partisanes, notamment, ainsi que la prise de conscience de tous les acteurs que la multiplication des canaux d’information n’offrait plus de garantie de qualité de l’information. Après trois ans d’existence, on peut dire que c’est une réussite… mais sans excès d’illusion. Sans excès d’illusion, car le Conseil de Déontologie ne résoudra certes pas tous les problèmes de la presse. Néanmoins, dans les rédactions, il est perçu comme un gage de journalisme de qualité et a acquis un statut de haute autorité morale qui semble nécessaire à la profession.
L’avis des politiques
Pierre Laurent, Secrétaire général du PCF – Front de Gauche
La situation de la presse est aujourd’hui préoccupante : la trop grande concentration et l’exercice de plus en plus difficile du métier mènent à une asphyxie lente, mais bien réelle. Cela pose un vrai souci démocratique et je n’ai pas le sentiment que le gouvernement ambitionne de s’attaquer à ce problème. Je suis favorable à la création d’une instance de déontologie mais celle-ci soulève plusieurs interrogations : qui devrait la composer ? De quelles natures seraient les plaintes et qui pourrait les déposer ? Il me semble important que les citoyens puissent y être aussi impliqués. Il faudrait organiser des états généraux de la presse afin de poser ces questions.
Philippe Buisson, Secrétaire national aux médias du Parti Socialiste
Il existe aujourd’hui 19 conseils de presse en Europe et la France est un des rares pays à ne pas en avoir. Il y a un mois et demi, le PS s’est engagé en faveur de la création d’une instance de déontologie de l’information. Le contexte nous y pousse : il y a une réelle défiance du public envers ses médias et ses élites et le devoir d’information en continu multiplie les risques d’erreurs. Le contexte législatif est aussi favorable : un certain nombre de lois, – la réforme du CSA, du secret des sources, des aides à la presse et de l’audiovisuel -, vont être présentées dans les prochains mois. Cette instance devra être pilotée par la profession elle-même, sans intervention du politique, mais la société civile devrait pouvoir y prendre part.
Nathalie Fanfant, Secrétaire générale UMP
On ne peut être que d’accord avec l’idée de créer une instance de déontologie de l’information et avec tout ce qui permettra d’améliorer la confiance du public envers ses médias. Cette instance devra être autogérée, l’intervention politique n’a pas lieu d’être dans ce cadre. Néanmoins, il me semble important de rappeler qu’il existe aussi une responsabilité personnelle du journaliste dans l’application de la déontologie. Il est facile de pointer du doigt l’autre quand on se trompe. Mais le cœur du métier du journaliste, c’est de chercher l’information fiable et vraie, pas de galoper après l’info sans rien vérifier. Donc, oui à la création d’une instance, mais sans oublier que la déontologie concerne aussi l’exercice du journalisme au quotidien.
André Gattolin, Sénateur des Hauts-de-Seine, Europe Ecologie – Les Verts, membre de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication
Etre crédible aux yeux du public, ce n’est pas forcément être infaillible. Les journalistes français semblent craindre de reconnaître leurs erreurs. Or il est important, pour être crédible, de savoir se remettre en question et d’améliorer ainsi l’exercice de la profession. Europe Ecologie – Les Verts est tout à fait favorable à la création d’une instance de déontologie mais il semble important que le public puisse aussi y participer. Il faudrait une volonté politique forte pour qu’une telle instance puisse démarrer et exister. Il serait intéressant d’avoir une déclaration politique commune, au-delà des lignes partisanes, qui se déclare favorable.
Synthèse et conclusion
Loïc Hervouet, Ancien médiateur – RFI
Disons le tout net. Je n’ai aucun lien particulier avec Michel Houellebecq.
Si j’avais voici deux ans lors du débat sur le même thème lors des Assises du journalisme de Strasbourg entrepris de dresser la carte et le territoire du sujet en utilisant deux titres de ses ouvrages, c’était pour un clin d’œil au prix Goncourt alors dans l’actualité. Relevant sept convergences, deux divergences, j’avais utilisé pour qualifier deux émergences deux titres de l’auteur.
– la possibilité d’une île pour qualifier l’idée d’un apparentement ou d’un adossement du futur conseil à la commission de la carte.
– une extension du domaine de la lutte pour assigner à une telle structure non seulement un magistère moral mais une fonction de réflexion et de protection du journalisme.
Figurez-vous que Houellebecq vient de sortir un nouvel ouvrage, Configuration du dernier rivage, et je ne me gênerai pas pour l’utiliser en le déformant même pour ce que j’espère être un dernier virage avant la ligne droite qui nous mènera à la création de ce conseil de presse. Quoiqu’un dernier rivage puisse aussi être celui de l’arrivée à bon port…
En 2010, on avait dressé une liste des convergences, divergences, émergences, et des urgences. On ne les répétera pas: elles restent valables pour l’essentiel (voir bulletin n°2 de l’APCP)
La liste proposée en synthèse aujourd’hui pour cette journée du 13 juin portera sur des ambiguïtés levées, des avancées dégagées, des opportunités fléchées, et enfin des points de passage obligés, fussent-ils malaisés.
Ambiguïtés levées, définitivement levées
– confusion du projet avec celui d’un Ordre: hors sujet pour mille raisons, dont celle que les journalistes n’exercent pas une profession libérale, mais, même pigistes, sont des salariés.
– assignation d’un rôle de tribunal: le conseil proposé ne revendique ni n’assume aucune fonction coercitive, il se situe dans le domaine pédagogique et incitatif.
– solution miracle: le conseil n’est pas LA solution, mais un des éléments de la solution, un des outils de progrès et de reconquête de la confiance.
Qu’on se le dise: celui qui jouerait encore de ces confusions destinées à nuire commettrait une désinformation relevant sans conteste de la dénonciation au conseil de presse. 🙂
Retenons en souriant la définition belge d’un « gendarme sans matraque ».
Avancées dégagées
Ce sont en quelque sorte les particules élémentaires constitutives d’une instance.
– un consensus syndical affirmé autour de textes de référence convergents, avec une mobilisation actée du premier d’entre eux, le SNJ
– un accord conceptuel sur la vocation nécessairement globale et multimédia d’une telle instance, consacrée à toutes les formes de l’information, écrite, audiovisuelle et numérique
– un consensus réitéré sur la nécessaire participation du public à une telle instance.
Opportunités fléchées
Elles pourraient aider à construire la plateforme, et donner le sens du combat:
– Montée inéluctable du besoin de médiation, des instances de médiation, dans tous les secteurs de la société.
– Exemplarité de certaines initiatives comme celles du dispositif créé au Monde, avec à la fois des textes de référence, des procédures et des dialogues programmés ou encore les travaux de recensement et de réflexion de l’ODI (Observatoire de l’information).
– Mobilisation européenne pour des conseils de presse: l’initiative européenne pour généraliser ces instances de médiation repose sur l’expérience des conseils existant dans 19 pays sur26.
– Révision des aides à la presse en France: le réexamen de leur justification passe par un supplément d’âme quant à la prise en compte de l’intérêt général, donc des préoccupations d’ordre déontologique.
– Refonte des attributions du CSA: ce réexamen des fonctions et de la composition de cet organisme, qui s’est auto attribué une vocation déontologique, met à l’ordre du jour la question de la régulation, donc celle d’un conseil de presse.
– Dynamisme des instances francophones, au Québec historiquement, très bientôt au Canada, actuellement en Suisse et en Belgique. Et si la France découvrait la modestie de s’inspirer de ce qui réussit ailleurs?
– Engagement sans précédent du parti majoritaire au Parlement sur l’intérêt d’un conseil de presse.
Point de passages obligés
Comme pour la Grèce, la déploration ne suffit pas. Il faut donc baliser la navigation vers le rivage à travers quelques passes obligées, et néanmoins malaisées:
– Il faut trouver les moyens de fracturer l’opposition larvée d’une majorité d’éditeurs, au-delà des francs-tireurs aujourd’hui favorables: montrer que la vertu est payante, en tout cas nécessaire : une rencontre avec les patrons anglais qui ont de nouveau préféré l’initiative plutôt que l’attente de projets gouvernementaux? Une invitation des éditeurs belges ou suisses, pour témoigner que le conseil de presse n’est pas le diable venant prendre le pouvoir dans les médias? Une pression des politiques pour faire accepter le principe d’une contrepartie à l’aide publique?
– Il faut trouver les moyens d’instaurer sur ce sujet un dialogue constructif entre journalistes et éditeurs … qui aura bien besoin d’une instance de médiation.