Restitution de l’atelier « Education à l’information, éducation des médias ? »

Restitution rédigée par Divina Frau-Meigs, rapporteure de l’atelier, qui est Directrice scientifique du CLEMI.

 

L’atelier était animé par Laurence Creusot, Rédactrice en chef adjointe à France 3 Languedoc-Roussillon.

 

Les intervenants…

… dans un premier temps : 

Jean-François Cullafroz (CFDT)

Ugo Emprin (Journaliste chez Mon Quotidien, Playbac Presse)

Pascal Gougeon (Professeur au Lycée Jacques Decour, Paris)

Isabelle Martin (Délégué académique du CLEMI à Bordeaux)

… dans un second temps :

Alberic De Gouville (Vice-Président de la Maison des journalistes, Renvoyé Spécial)

Christian Gautellier (Président de Enjeux e-Médias)

Luc Hermann (Co-directeur de l’agence Première Ligne)

John-Paul Lepers (Fondateur de La Télé Libre, co-fondateur de Reporter Citoyen)

Etienne Millien (Sud-Ouest, et Délégué général ARPEJ)

Marie Picoche (Directrice de la rédaction de Kaboom, journal lycéen)

 

L’atelier professionnel « Education à l’information, éducation des médias ? » a regroupé toutes sortes d’acteurs : des membres des syndicats de la presse, des représentants de la presse nationale, régionale et jeunesse, des enseignants, éducateurs et formateurs ainsi que des jeunes et des parents. L’atelier s’est partagé en deux interrogations : comment traiter l’événement, comment construire ensemble l’EMI ? Et les échanges ont été très riches.

 

Les constats partagés

Le constat est tout d’abord très positif, de par la très grande richesse des médias français et des dispositifs dans les écoles. La grande mobilisation du 11 janvier et l’esprit « Je suis Charlie » n’auraient pas été possible sans une longue tradition de formation à la citoyenneté.  Mais cette force démocratique a été ébranlée dans la sécurité donnée aux journalistes qui se sont trouvés « marcher entre les dents du crocodile », pour reprendre l’expression de René Dacier de l’opération Renvoyé Spécial.

Par contraste un grand manque  a été souligné par tous les acteurs (parents, jeunes, éducateurs, journalistes) : le difficile décryptage de l’information, sous toutes ses formes. Tous les éléments ont été mentionnés : la vérification des sources, les manipulations du montage, les théories du complot, les notions de liberté d’expression, de laïcité…

D’autres besoins ont été identifiés, notamment le besoin de surmonter une méfiance réciproque entre journalistes et enseignants.  La profession journalistique est critiquée pour son éloignement, voire son apartheid social et territorial. Le rôle de la sélection par l’écrit semble jouer comme un filtre pour l’élite et les besoins ont été pointés de valoriser aussi la production par l’image et la radio. Les enseignants et les jeunes se méfient des organes de presse, notamment la presse traditionnelle, et s’estiment mal traités, littéralement.

Par ailleurs, les participants se sont entendus pour insister sur la nécessité de maintenir le lien entre médias traditionnels et  réseaux sociaux. Au contraire, il s’agirait d’exploiter les synergies entre les deux et de profiter des dynamiques nouvelles produites par le numérique, notamment pour toucher un lectorat plus jeune.

Il en est résulté l’impérieuse nécessité ressentie et exprimée par les journalistes de « sortir de la bulle », et d’« aller au contact ». Le témoignage vivant, en allant dans les écoles à la rencontre des jeunes et des enseignants, est présenté comme un moyen de recréer du lien humain et de dépasser le constat de défiance.

 

Les enjeux mis en évidence

Par delà les constats, trois enjeux très forts sont apparus :

 

– la massification et le passage  à l’échelle de l’EMI, qui s’inscrit dans les textes et les actions mentionnées par le gouvernement, tant le ministère de l’éducation nationale  et que le ministère de la culture, par le biais du « parcours citoyen », de la création d’un média par établissement, de la formation de référents éducation aux médias…  Elle implique le CLEMI au premier chef, renforcé dans son rôle d’opérateur de l’EMI pour le ministère mais aussi d’autres partenaires, dont les professionnels des médias et de l’éducation populaire.

 

– la redéfinition d’espaces pluridisciplinaires dans et hors l’école pour dégager du temps d’échange et mettre en place des projets d’éducation aux médias multipartenaires

 

– la redéfinition des médias comme espaces de socialisation, pour faire entrer les enjeux d’éducation et de jeunesse dans les médias eux-mêmes, afin que les valeurs de l’éducation et de la relation à la jeunesse soient assumées

 

Ces enjeux pointent vers  une refondation de l’école et des médias et apparaissent comme une opportunité de s’emparer de l’éducation à la citoyenneté de manière pleine et entière.

 

Les propositions de l’atelier

Des propositions concrètes ont émergé, en matière de formation, d’intervention et de partenariats.

La formation des journalistes a été jugée insuffisante, avec un manque de connaissances, pas assez de  professionnels spécialisés en éducation, pas assez d’attention à la représentation stéréotypée et stigmatisante des jeunes et des quartiers, pas assez de pédagogie pour expliquer des notions complexes et abstraites. Une des recommandations les plus fortes a été de créer une 3e voie dans les écoles de journalisme pour permettre aux étudiants des quartiers populaires d’accéder à l’éducation et à la profession, et donc changer la sociologie des professionnels, à terme.

La formation des enseignants  a été estimée incomplète, notamment en ce qui concerne la complexité du numérique. La transition de l’EAM à l’EMI reste encore à faire, pour pouvoir expliquer les phénomènes de radicalisation qui se produisent sur les réseaux sociaux sans pour autant polariser les positions ou stigmatiser les usagers.  Cette formation doit se faire de la maternelle à l’université, en passant par les ESPE, dans et hors l’école, en passant par les lycées professionnels ou les formateurs de formateurs.

Les interventions dans les écoles ont été préconisées pour retisser le lien, avec la production de ressources appropriées par les journalistes. S’il est à regretter que ces solutions ne se fassent pas encore en co-construction avec les enseignants, il faut noter leur diversité. Parmi les exemples à souligner, l’offre de DVD de Première Ligne, combinant une compilation d’événements-clé et de déplacement de deux reporters par mois dans les classes, le rôle de l’ONG Bibliothèques sans Frontières dans la production de MOOCs (en appui du MOOC du CLEMI « DIY Education aux Médias et à l’Information ») ou encore l’initiative des « volontaires de la liberté d’expression ».  La mobilisation des rédactions (et pas seulement des journalistes) s’avère aussi nécessaire pour dépasser les malentendus et mieux faire comprendre les questions de décryptage de l’information. Enfin, la préconisation majeure pour le passage à l’échelle est de dupliquer des actions existantes, comme Renvoyé Spécial avec la Maison des journalistes et le CLEMI, les Globe-trotters, les Reporters-Citoyens, etc.

La demande de partenariats est venue comme une nécessité également. La co-organisation de réunions hors des établissements avec les parents et les autres acteurs de la vie collective a été suggérée, notamment dans des lieux comme les médiathèques.  Une action en direction des parents pourrait aussi être menée, par les médias et dans les médias, avec des contenus dédiés, qui puissent les toucher sur divers types de médias.  Enfin la demande insistante d’une plateforme ou d’un portail d’échanges et de partage s’est fait entendre de tous côtés, pour pallier la fragmentation actuelle de l’éducation aux médias et  à l’information et répondre à la demande de mise en relation entre pédagogues et journalistes.

 

Les dispositifs concrets

L’atelier a montré toutes sortes de synergies et de dynamismes mais n’a pas abouti complètement à l’élaboration d’une stratégie commune. Quelques pistes et dispositifs émergent avec force :

 

– la création d’un Conseil de presse et de déontologie (avec tous les partenaires, y compris les représentants du public) est encore repoussée malgré son utilisé sociale. Il semble rencontrer des résistances de la part des syndicats des patrons de presse, alors qu’il pourrait  recréer du lien, de la confiance et rendre visibles les efforts de responsabilité sociale des médias.

 

– le rôle du CLEMI dont des actions comme la Semaine de la Presse et des Médias dans l’Ecole  (SPME) a été conforté mais risque de s’assurer insuffisant si ses moyens ne sont pas augmentés. Ses moyens sont en effet maintenus à l’identique et les coordonateurs en académie sont dans une situation très hétérogènes, avec des moyens plus ou moins importants selon les points du territoire. Il a un fonctionnement par partenariats efficace (Presstalis, SPQR, GMF, La Poste, etc.) qui pointe vers des solutions mais n’est pas dénué de fragilités. Il a des besoins internes en formation, notamment du côté des réseaux sociaux, des usages médiatiques du numérique, etc.

 

– la nécessité d’une liaison interministérielle est renouvelée, car les médias dépendent de la culture tandis que les enseignants dépendent de l’éducation nationale.  La nomination de Jérôme Bouvier à la mission « éducation aux médias et à la diversité » permet d’envisager des relais possibles sur cette thématique.

 

En conclusion, une réelle fenêtre d’opportunité pour l’action collective s’ouvre  pour sortir l’EMI des silos et cloisonnements traditionnels, et en faire un enjeu culturel fondamental afin de porter la citoyenneté du 21e siècle.

 

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Le fil de Tours